Résumé de la communication faite par Alain Douzou lors de nos journées d’étude de Sylvanes les 29 et 30 avril 2017:
 
La Chronique rédigée vers 1161-1173 par le moine Hugues Francigena plus de quarante ans après la conversion de Pons de Léras le fondateur, petit seigneur du lodévois auteur de rapines et de violences, a surtout pour but d’édifier. L’abbaye officiellement consacrée en 1136 (après une longue période d’érémitisme) dès lors prospère connaît des désertions, la rigueur de la règle est discutée ; l’objectif du rédacteur agissant à la demande de Pons le nouvel abbé, est hagiographique insistant davantage sur les similitudes entre la démarche de Pons et celle de St Bernard son contemporain, que sur le contexte du temps de sa conversion vers 1117.
Pourtant les enjeux politico- religieux voire économiques jouent un rôle majeur !
Le rôle du milieu lodévois où se déroulent la pénitence et la restitution-donation de tous les biens de Pons est essentiel. Cité épiscopale, siège de vicomté, centre d’échanges la ville dépend du Comte de Rodez et partiellement, des pouvoirs temporels concurrents de l’évêque. Pons de Léras dont le château contrôle l’un des accès au Larzac sur lequel il prélève péage est aussi décrit paradoxalement comme « riche, estimé et puissant dans sa ville ». On apprend plus tard l’amitié que lui porte le Comte Richard. Il est en réalité un de ses proches. Dans le bras de fer qui oppose tout au long du XII° siècle les deux pouvoirs et dont l’épiscopat sortira vainqueur, la pénitence publique de Pons accompagnée de mortification et d’humiliation, marques de la sincérité de son repentir, traduit en réalité sa nouvelle allégeance à l’église et au successeur de St Fulcran.
Désormais l’appui de l’épiscopat lodévois accompagnera « l’aventure spirituelle » de Pons même si le choix de l’implantation de la communauté des ermites – au départ de petits nobles et clercs du lodévois, se fait dans le sud Rouergue relevant de l’évêque de Rodez (qui apporte en la personne d’Adhémar un soutien actif) dans une zone dépendant des Trencavel vicomtes d’Albi-Béziers).
La riche famille des Aitbrand très liée à l’épiscopat lodévois (et aux Guilhem de Montpellier) apportera comme d’autres lodévois des moyens financiers lors de l’édification des deux monastères successifs, en même temps que les liens religieux restent étroits, correspondance épistolaire et abbé de St Sauveur de Lodève en déplacement à Silvanès assurant le relais.
Un bienfaiteur « invisible » tient une place essentielle, Guilhem VI de Montpellier (dont l’origine familiale se situe dans la haute vallée de l’Hérault au contact du lodévois). Proche des papes – dont dépend directement l’évêché de Maguelonne, et des cisterciens chez qui il se retire en 1149, combattant actif en Terre Sainte d’où il a ramené des sommes importantes, il s’avèrera pour les religieux de Silvanès un protecteur discret et constant. Outre les 200 marcs d’argent fin qu’il envoie « d’au-delà des mers » on le retrouve discrètement comme témoin dans des actes d’importance ou comme donateur d’un espace à bâtir aux portes de Montpellier en 1161. Le transfert de l’argent retiré des mines exploitées par Silvanès vers les ateliers monétaires de Melgueil (aux mains des Guilhem depuis 1128-30) renforcent cette proximité tout comme les flux d’échanges vers Montpellier où les cisterciens sont exemptés de leude et de péage.
Restent à évoquer l’action discrète des vicomtes Trencavel. Guère présents à l’origine de la fondation cistercienne, ils appuient pourtant celle-ci par le biais des familles locales sous leur dépendance, les seigneurs du Pont de Camarès, de Brusque-St Caprazy, de Prohencoux ou Murasson. Ce sont ces lignages et d’autres qui relèvent du Comte de Rodez (les Caylus, les Cornus, les Luzençon) qui assurent l’essentiel des donations en terres et en droits amenant à la constitution d’un vaste domaine autour du monastère et de huit granges. En 1173 Roger II libère l’abbaye de toute subordination seigneuriale lui conférant un véritable statut de seigneurie.
Silvanès est donc une création essentiellement languedocienne, ce que renforceront les flux commerciaux orientés vers Narbonne et Montpellier, ce que traduira aussi l’architecture de l’abbatiale. Intégrée en 1136 dans l’ordre de Citeaux (sous la tutelle de Mazan, fille de Bonnevaux, petite fille de Citeaux) en dehors de toute présence honorifique la communauté réunie autour de Pons n’en bénéficiait pas moins d’un contexte politico-religieux des plus favorables.
 
Bibliographie :

  • Douzou Alain, Cisterciens et société laïque dans le Camarès au XII° siècle, DES Université Paul-Valéry Montpellier, 1972
  • Bourgeois Ginette, Douzou Alain, Une Aventure spirituelle dans le Rouergue méridional au Moyen-Âge, Ermites et cisterciens à Silvanès (1120-1477) – Cerf, Paris 1999
  • Douzou Alain, Echanges et relations commerciales entre Rouergue et Bas-Languedoc au XII° siècle – Annales du Midi, n° 283 Juillet-Septembre 2013, p. 341-369
  • Douzou Alain, L’organisation d’un domaine cistercien, Silvanès et ses granges au XII° siècle, in Les granges cisterciennes du Rouergue, l’âge d’or, 1123-1347, Sauvegarde du Rouergue n°114, 2014
  •  Vidal Henri, « La « vie » de Saint Fulcran et le triomphe de l’épiscopatus lodévois au XIIème siècle » Annales du Midi, 1965,p.7-20.