Histoire de la fondation de l’Ordre Cistercien au XIIe siècle

L’ordre cistercien est né au début du XIIe siècle, son essor est prodigieux durant ce siècle. La fondation des abbayes cisterciennes en Rouergue est un témoignage de ce phénomène.

Contexte religieux

Aux origines du monachisme 

Le monachisme chrétien apparait en Egypte dans la deuxième moitié du IIIe siècle. Le désir d’observer strictement les préceptes évangéliques pousse certains chrétiens à se retirer du monde pour mener, dans le désert, une vie de renoncement et de prière, de don total de soi à Dieu.

Parmi ces pères du désert, Antoine, vers 270, attire autour de lui par son charisme, des disciples ; cela l’oblige à renoncer à la solitude et fait de lui le patriarche des cénobites.

Le monachisme pénètre en Occident où Martin, un soldat romain devenu moine, fonde un premier monastère à Ligugé (près de Poitiers) vers 363, avant d’être élu évêque de Tours. En 410, Honorat est à l’origine du monastère de Lérins sur une ile du golfe de Cannes. Vers 415 Jean Cassien fonde à Marseille le monastère de Saint-Victor…

La Règle de saint Benoit

Vers 490, Benoit, nait à Nursie, dans le centre de l’Italie. Après avoir mené une vie érémitique pendant trois ans, il fonde le monastère du Mont Cassin et rédige une règle de vie monastique. La journée du moine est partagée équitablement entre offices liturgiques et travail manuel, ce qui est tout à fait nouveau dans la société de cette époque encore largement imprégnée de l’héritage antique et de sa vision négative du travail.

Au IXe siècle, Charlemagne et son fils Louis le Pieux, fervents adeptes de la Règle de saint Benoit, vont rallier à elle toutes les communautés monastiques à venir qui seront dès lors des communautés bénédictines. Depuis, Benoit est considéré comme le Père des moines d’occident.

La Règle de saint Benoit

Cluny

L’abbaye de Cluny (Chalon-sur-Saône), fondée en 909, devient le plus important monastère de France. Au XIIe siècle Cluny est à la tête d’un réseau de près de mille deux cent maisons réparties en France, Angleterre, Italie et Espagne.

Cluny ne dépendait pas des seigneurs ou des évêques mais était sous l’autorité directe du  pape. Le pouvoir était entre les mains de l’abbé, les fondations restaient des prieurés sans indépendance.

Les moines clunisiens ou moines noirs (couleur de leur vêtement), passaient beaucoup de temps à la liturgie et aux cérémonies au détriment du travail ce qui était une entorse à la Règle de saint  Benoit.

Les abbayes étaient fastueuses : vastes églises, objets de culte précieux, célébrations somptueuses. Il se disait que « partout où le vent vente, l’abbé de Cluny a rente ».

En position hégémonique, Cluny et son réseau se voit reprocher son pouvoir, son opulence, son goût pour le luxe alors que de nouveaux ordres monastiques prêchent et pratiquent un retour aux valeurs bénédictines de pauvreté et de travail manuel.

 

Le renouveau monastique

 

Le pape Grégoire VII, à partir du milieu du XIe siècle, lance une grande réforme : « La réforme grégorienne ». Il entendait  redonner à l’Eglise des valeurs morales. Parallèlement et en soutien à celle-ci, le monde monastique connaît un vif renouveau. Au tournant du XIe et du XIIe siècle, en à peine trois décennies des mouvements érémitiques se développent. Ils prônent un retour aux sources du christianisme. Les aspirations sont celles d’une vie simple, pauvre, retirée du monde dans le but d’atteindre la perfection spirituelle.

Très vite ces fondations d’ermite ne parviennent pas à maintenir durablement l’équilibre entre la vie isolée (ermite) et la vie isolée mais en groupe (cénobitisme), si bien qu’au cours du XIIe siècle la plupart d’entre eux abandonnent leur propos primitif et adoptent  des statuts de vie en commun directement inspirés de la règle bénédictine.

Parmi les nombreux ermites charismatiques qui ont préparé le terrain pour les cisterciens, nous  mentionnons ceux qui ont eu une influence en Rouergue :

  • Gérault de Sales (1070-1120) fonde Cadouin (Périgord), Dalon (Limousin).
  • Etienne d’Obazine installe en 1127 une communauté mixte à Obazine en bas-Limousin.
  • Etienne de Thiers (1046-1124), originaire du diocèse d’Auvergne, est à l’origine de l’ordre des Grandmontains, (représenté par les abbayes du Sauvage et de Comberoumal en Rouergue et Saint Michel de Grandmont près de Lodève).

 

C’est dans ce bouillonnement qu’un moine, Robert de Molesme, décide de quitter son abbaye et de vivre au milieu des roseaux (cistels en latin)….

Histoire de la fondation de l’ordre de cîteaux

Robert,  Alberic et Etienne

Robert, fils du comte de Tonnerre (Yonne), nait en 1028 près de Troyes. Il rentre comme prieur à l’abbaye bénédictine de Montier-la-Celle. Sa renommée est telle qu’il est nommé abbé de l’abbaye Saint-Michel de Tonnerre. Voulant renouer avec les principes de pauvreté de la vie de saint Benoit, mais n’arrivant pas à convaincre sa communauté, il démissionne et rejoint  un groupe d’ermites dans la forêt de Collan entre Chablis et Tonnerre. Avec eux il crée l’abbaye bénédictine de Molesme (1075).

La fondation de Robert attire la générosité des puissants. Victime de son succès, Molesme devient un petit Cluny. En 1098,  en l’espace de vingt ans, trente cinq  prieurés dépendent de Molesme. La richesse éloigne l’abbaye de l’idéal qui a présidé à sa fondation. La discorde divise la communauté. Après de vaines tentatives pour imposer des règles plus sévères, Robert obtient du légat du pape, archevêque de Lyon, l’autorisation de quitter Molesme.

Le 21 mars 1098 sous la conduite de Robert, un petit groupe de religieux s’installe sur des terres données par le vicomte de Beaune, au sud de Lyon en un lieu boisé, marécageux et inhospitalier, appelé « Cistels ». Deux fidèles compagnons de Robert, Alberic et Etienne ainsi que vingt et un moines partagent cette aventure.

Saint Robert fondateur de Molesme et Cîteaux.
Eglise de Chaource (XVIe siècle)

Un an plus tard Robert se soumet aux ordres du pape et retourne à Molesme. Alberic devient le deuxième abbé du Nouveau Monastère. Pendant dix ans les difficultés à pourvoir aux besoins alimentaires de la communauté et la rareté des  vocations rendent les conditions de vie très difficiles.

A la mort d’Alberic, Etienne Harding, moine d’origine anglaise, ancien de Molesme, compagnon de la première heure de Robert et d’Alberic, devient le troisième abbé (1109-1133).

A partir de 1110, l’essor matériel s’accompagne de l’arrivée de nouvelles recrues attirées par la réputation de sainteté des moines.

Parmi eux, en 1112, le fils du seigneur de Fontaine, Bernard  avec trente de ses compagnons demande à faire son noviciat. Ces jeunes forces donnent une impulsion décisive à l’abbaye de Cîteaux.

Le Nouveau Monastère essaime en 1113 à La Ferté, en 1114 à Pontigny, en 1115 à Clairvaux, dont Bernard sera abbé, puis à Morimond en 1115.

Pour organiser les relations entre les abbayes, Etienne Harding dote l’ordre d’un texte : la Charte de charité et d’une institution : le Chapitre général.

  • La Charte de charité définit les futures relations de charité et d’entraide entre les différents monastères de l’ordre. Chaque abbaye élit son abbé de façon indépendante mais les abbayes sont organisées en filiation, une abbaye-mère contrôle ses filles. L’abbaye de Cîteaux est contrôlée par ses trois premières filles qui sont coresponsables du développement de l’Ordre.
  • Le Chapitre général se réunit chaque année à Cîteaux sous l’autorité de l’abbé de Cîteaux qui est le chef de l’Ordre, avec obligation pour tous les abbés de l’Ordre de s’y rendre.

En 1119, le Nouveau Monastère est reconnu par le pape Calixte II et prend le nom de « Cîteaux ». Quand Etienne Harding meurt en 1134, l’ordre a acquis des structures solides prélude à un formidable essor donné  par Bernard de Clairvaux qui aura un pouvoir religieux et politique presque sans partage pendant 30 ans.

Robert et douze moines bâtissent le Nouveau Monastère. Vitrail de l’abbaye du Miroir (71)

Bernard de Clairvaux

Né en 1090 à Fontaine-les-Dijon, Bernard est le fils du seigneur de Fontaine, Tescelin, et d’Aleth de Montbard. Cette famille noble, de condition modeste, est cependant apparentée à des familles influentes.

Bernard  est confié aux chanoines de la collégiale Saint-Vorles à Chatillon-sur-Seine. Sentant naître en lui la vocation monastique en 1112, a 22 ans,  il persuade trente compagnons dont quatre de ses frères et deux de ses oncles maternels de le suivre au noviciat du Nouveau Monastère.

En juin 1115, Etienne Harding place Bernard à la tête de l’abbaye de Clairvaux (canton de Bar-sur-Aube). Malgré les nombreuses affaires qui l’ont entrainé loin de son monastère, Bernard refusera toutes les promotions, restant toute sa vie simple abbé de Clairvaux.

Ecrivain talentueux et fécond, il rédige des sermons remarquables sur le Cantique des Cantiques et son influence dans le domaine de la spiritualité et de la liturgie, de l’architecture et de l’art est considérable.

Durant toute sa vie Bernard participera aux affaires du siècle, il rayonnera dans les divers milieux monastiques, ecclésiastiques et laïcs qui le verront passer, étonnés, conquis par sa force de persuasion. Il sera l’oreille et le conseiller des puissants.

Cette ouverture au monde, présentée comme exigée pour le bien de l’Eglise, renforce le prestige et l’autorité de l’Ordre.  Parmi les nombreuses  interventions de l’abbé de Clairvaux dans les affaires du siècle on retiendra :

 

  • Ses critiques sur la richesse de Cluny et sa vive défense de l’austérité cistercienne font de l’ordre cistercien le nouveau modèle du monachisme et de Bernard une des premières personnalités de la chrétienté occidentale.
  • En 1128 il est présent au synode de Troyes pour définir la mission et les structures de l’Ordre du Temple, fondé en 1119 afin de défendre les états francs de Syrie et de Palestine créés à la suite de la première croisade.
  • En 1130 Bernard défend la candidature d’Innocent II sur le siège papal, contre Anaclet. Il interviendra souvent dans les élections épiscopales et pontificales pour soutenir les candidatures de moines de son Ordre.
  • En 1139 Bernard dénonce à Paris, devant les étudiants d’Abélard, les thèses de leur maître. En juin 1140, il l’affronte devant une assemblée d’évêques qui condamne les positions du théologien.
  • De mai à juin 1145 il entreprend un voyage dans le sud-ouest de la France afin de contrecarrer les prêches hérétiques d’Henri de Lausanne. Sur son passage, il affilie des abbayes et leurs filles à l’ordre cistercien (Grandselve) et il en fonde d’autre (Beaulieu-en-Rouergue).
  • Quand le pape Eugène III, ancien moine de Clairvaux, organise une deuxième croisade, il fait appel à Bernard qui, à Vézelay, exhorte les seigneurs à se mobiliser.

En trente ans, jusqu’à sa mort en 1153, Bernard a largement marqué la vie politique, culturelle et religieuse de son époque au point que le XIIe siècle est appelé : le siècle de saint Bernard. Il a laissé un héritage fort de 350 abbayes environ.

 

Bernard est canonisé en 1174 et est proclamé docteur de l’église en 1830.

« L’idéal de Cîteaux conçu par Robert, pleinement réalisé par saint Alberic, reçut d’Etienne sa géniale organisation. Sa propagation est la gloire de saint Bernard, en qui s’incarne au Moyen-Âge l’idéal du moine contemplatif et pénitent. » (Marcel Pacaut)

St Bernard enseigne à des moines. Les heures d’Etienne chevalier. Musée Condé.

Bibliographie

Les Cisterciens. In Situ Themes – Edt MSM, 2003.

VAN DER MEER Frédéric

Atlas de l’ordre cistercien. Edt Sequoia Paris Bruxelles, 1965.

LEROUX-DHUYS Jean-François

Les abbayes cisterciennes. Edt Koehler Paris, 2013

AUBE Pierre

Saint Bernard de Clairvaux – Fayard, 2003.

DAVY Marie-Madeleine

Bernard de Clairvaux –  Albin Michel, 2001

FRIZOT Julien et PERRIN Thierry

Sur les pas de Bernard de Clairvaux et des   Cisterciens – Editions  Ouest-France, 2006.

PACAUT Marcel

Les moines blancs. Histoire de l’ordre de Cîteaux – Edt Fayard, 1993.

PRESSOUYRE Léon

Le rêve cistercien – Découverte Gallimard n° 95, 1990.